LÀ OÙ S’ABOLISSENT LES FRONTIÈRES

Récital clavecin

 CHAPELLE EXPIATOIRE
29 rue Pasquier, Paris 8

Mercredi 20 Juin | 12H30
Durée : ~50′

Jérôme Bertierclavecin

En partenariat avec le Centre des Monuments Nationaux

Couperin, Debussy, Forqueray, Froberger, Ravel & improvisations

« Là où cessent les frontières, les chemins s’effacent. Là commence le silence. J’avance lentement et je peuple la nuit d’étoiles, de paroles, de la respiration d’une eau lointaine qui m’attend où paraît l’aube. »
Octavio Paz, Liberté sur Parole

Qu’est-ce qu’improviser ? Beaucoup de gens pensent qu’il s’agit juste de se mettre à jouer d’un instrument de musique en suivant l’inspiration du moment, dans un geste d’une totale liberté. Pourtant, si le fait d’improviser porte bien en lui une dimension libératoire, voire libératrice, ce n’est pas non plus un acte libertaire déconnecté de toute réalité existante. Loin d’être une absence de préparation ou de prévision comme l’étymologie du mot pourrait le laisser supposer, l’improvisation réclame au contraire une connaissance sensible et théorique poussée qui permet à l’interprète de se couler aisément dans n’importe quel style, d’aller jusqu’au pastiche tout en étant capable d’insuffler sa propre personnalité à ce qu’il crée dans son présent.

Car l’improvisation est d’abord un acte d’amour profond et d’attention portée à ce qui constitue l’ADN de chaque musique, aux particularités de style de chaque musicien : ce savoir, cette capacité à assimiler un style jusqu’à la fusion est l’une des conditions pour que puisse fleurir l’improvisation. Alors commence la liberté de l’interprète, qui peut peser exactement ce qu’il apporte et la façon dont il s’empare d’un matériau, l’orne, l’enrichit. L’improvisation est à la fois appropriation de ce qui est autre, de ce qui est à l’autre, et poursuite, variation, prolongement d’une quête personnelle.

Ce que nous raconte l’improvisation n’est pas autre chose que l’histoire réelle de la musique : où commence la musique ? dans le cerveau d’un compositeur ? du désir d’entendre et de lier des sons entre eux ? d’une envie de reproduire une mélodie, une harmonie, un rythme ? Toute étude du parcours et de la production d’un compositeur – y compris de ceux qui s’autoproclamèrent créateurs d’un style reconnaissable ou neuf – nous fait constater qu’une œuvre musicale se construit à partir de bribes, d’inspirations, d’éléments appartenant à d’autres musiques. Loin de toute pureté et authenticité – concepts dangereux en musique comme dans le monde – la production d’un compositeur est au contraire océan constitué de fleuves, fleuves concentrant des alluvions, alluvions naissant de multiples sources. De là cette nécessité pour tout compositeur d’affirmer à la fois, un peu paradoxalement, sa lignée spirituelle autant que l’originalité de son style propre : la forme du « tombeau » – hommage stylistique enclos dans une pièce à la mémoire d’un maître révéré – offre de manière exemplaire ce double geste d’allégeance et d’affirmation de soi. De même, l’improvisation vient réactiver, vivifier, souligner ces différentes sources pour mieux nous les faire entendre.

Le claveciniste Jérôme Bertier nous propose de confronter ses propres improvisations avec les oeuvres des maîtres du XVIIème siècle : de toccatas en suites de danses, de partitas en tombeaux, c’est à un véritable voyage entre l’Italie et la France du grand siècle qu’il nous convie, mais aussi un voyage dans le temps, où le passé devient notre présent. Des racines de ces musiques jusqu’à leurs ramifications les plus étonnantes – telle la musique pour piano que Ravel écrivit en hommage à Couperin, et que Jérôme Bertier restituera au clavecin –, ce concert efface les frontières et réconcilie improvisation et interprétation pour mieux nous faire comprendre que la musique n’est pas un objet figé, testamentaire, immuable, mais jaillissement joyeux, pluralité des voix, circulation infinie.